Il se définit lui-même comme un entrepreneur engagé en faveur de l’impact social, le Mahorais Houssaini Assani Tafara a été désigné par l’Institut Choiseul parmi les 40 talents d’avenir des Outre-mer de moins de 40 ans. Longtemps, il a été l’un des visages du centre de formation DAESA, qui a œuvré pour la mise en place de filières professionnelles inclusives. L’association Émanciper Mayotte, qui accompagne chaque année près de 3 000 jeunes dans leur parcours de mobilité et d’orientation, c’est également lui. Depuis plus de dix ans, Houssaini Assani Tafara conçoit et pilote des actions à fort impact de la région de l’océan Indien jusqu’en Europe. Aujourd’hui installé à Maurice, l'entrepreneur souhaite se consacrer à de nouveaux projets qui lui tiennent à cœur. Portrait d’un homme qui veut faire de ses passions des leviers financiers qui s’inscrivent dans l'inclusion, la productivité et la rentabilité jusqu’aux plus hautes sphères internationales.
Pour Houssaini Assani Tafara, il y a eu un avant et un après Chido. Suite au passage du cyclone dévastateur sur le territoire de Mayotte, l’entrepreneur décide de revoir toutes ses priorités personnelles et professionnelles. Il quitte alors le groupe DAM, qui comprend DAESA, une structure qu’il a pourtant longtemps portée et qui représente aujourd’hui à Mayotte et à La Réunion quelque 2,5 millions d’euros de chiffre d’affaires, une quarantaine de salariés, et des centaines de jeunes formés, chaque année.
« Ce jour-là, j’ai compris que je pouvais vraiment mourir. Je me suis dit : et si ça s’arrêtait là, maintenant, comme ça ? Est-ce que j’aurais été fidèle à mes convictions ? Est-ce que je me suis assez écouté ? » Lassé de nombreux points de discorde et des refus, il se résout à repartir de zéro. « J’étais arrivé à un point où je portais trop de choses qui n’étaient pas vraiment les miennes. J’étais dans des projets collectifs, portés à plusieurs, mais à force de concessions, je me suis éloigné de ce qui m’anime. Je suis un créateur, un bâtisseur, pas un gestionnaire de compromis. » C’est désormais depuis l’île Maurice qu’il repense de nouvelles pistes de développement pour le territoire de Mayotte mais aussi de la région. « Ici, je me recentre. Je reprends le fil de mes envies profondes. » Dans cette quête de sens, une certitude : continuer d’impulser, de former, de transmettre.
Permettre aux étudiants de voyager pour s’émanciper
Quand on demande à Houssaini Assani Tafara de citer le projet dont il est le plus fier, il n’hésite pas une seconde : Émanciper Mayotte, l’association qu’il a fondée en 2017 pour accompagner les jeunes dans leurs parcours de mobilité, d’orientation et de réussite éducative. « Je m’occupais déjà de centres de formation, de projets Erasmus, de restauration, de foot… Mais en 2016, j’ai appris qu’un jeune Mahorais était mort seul dans sa chambre étudiante. Il venait d’arriver, il était complètement isolé, et personne ne l’avait accompagné. Là, je me suis dit : stop. C’est plus possible. Je ne pouvais pas laisser passer ça. » L’engagement était déjà là mais cette tragédie incite l’entrepreneur à structurer ce qu’il faisait déjà à petite échelle : aider, prévenir, expliquer, guider. « À l’époque, j’avais mon cybercafé dans le Sud de Mayotte. J’aidais les jeunes comme je pouvais : un peu de soutien scolaire, des ateliers, quelques conseils pour les départs. Mais j’ai compris qu’il fallait professionnaliser ça, créer une vraie structure. »

Très vite, l’association Émanciper Mayotte organise un forum de la mobilité. Chaque été, d’anciens étudiants viennent témoigner de leurs parcours. « Il fallait sortir du discours catastrophiste sur l’échec des étudiants mahorais. Oui, 90 % échouaient en première année. Mais pourquoi ? Parce qu’on ne les préparait pas. Parce qu’on leur disait : “Tu verras bien là-bas.” Alors nous, on leur dit : “Non, tu ne verras pas. On va t’expliquer.” » Dans cet accompagnement mis en place depuis quelques années, Houssaini Assani Tafara a souhaité offrir des outils à ces jeunes pour encourager leurs ambitions. En 2019, c’est dans la ville du Mans qu’est créée une Masterclass annuelle de trois jours pour les primo-arrivants mahorais. Ce programme, conçu comme un camp d’entraînement mental et éducatif, mêle ateliers pratiques, expression orale, gestion des émotions, orientation et débats.
Émanciper Mayotte, c’est aussi des programmes de mobilité européenne. Grâce à son expertise Erasmus+, Houssaini Assani Tafara a permis à des centaines de jeunes de Mayotte de partir en Pologne, en Norvège, en Roumanie, en Lituanie, à Malte ou encore en Bulgarie. Ces échanges ne se limitent pas à des stages. Ils permettent la mise en place de projets collectifs avec des jeunes d’autres pays. « J’aime bien leur dire : là-bas, vous n’êtes pas les pauvres petits Mahorais. Vous êtes les porteurs d’un projet. Vous êtes les experts de votre territoire. Et souvent, ils s’en rendent compte pour la première fois. » En sept ans, l’association a accompagné des milliers de jeunes. Désormais, des antennes à La Réunion et dans l’Hexagone étoffent ce réseau.
La formation au service de tous
L’engagement d’Houssaini Assani Tafara auprès des jeunes est marqué par son histoire personnelle. C’est à l’âge de 6 ans qu’il quitte Mayotte pour La Réunion. « J’étais arrivé sans savoir écrire mon nom », se souvient-il. « À Saint-André, nous étions quelques Mahorais dans cette même situation. Ils ne savaient pas trop quoi faire de nous mais personne ne nous a abandonnés. Je me souviens encore de mon instituteur… de toutes ces personnes qui nous ont tendu la main… C’était une pédagogie active, exigeante, mais humaine. » Quelques années plus tard, il obtiendra son baccalauréat avec mention très bien. Dans l'Hexagone, Il sera diplômé d’un BTS en mécanique.
En 2006, il est repéré par le PDG de Cristalline pour un poste de technicien de maintenance dans son usine d’embouteillage d’eau à Lone Pine, en Californie. De retour en France, il reprendra des études et sera diplômé d’un double master en qualité industrielle et commerce international. « Moi, je suis un enfant de la formation. Si je suis là aujourd’hui, c’est parce qu’un jour, des gens ont cru en ma capacité à apprendre. J’ai grandi dans un système où on partait avec du retard. Et malgré ça, j’ai pu me construire. Alors c’est devenu une mission : permettre à d’autres de faire ce chemin. »

C’est en 2012 qu’il revient sur le territoire de Mayotte, après avoir sillonné le monde. En parallèle du centre de formation DAESA qu’il aide à trouver le chemin de la rentabilité, il se lance, 2 ans plus tard, dans la restauration. « Ina Moro, ce n’était pas qu’un restaurant. C’était un laboratoire. On formait des jeunes en cuisine, en service, en gestion. Et le midi, on servait des plats aux agents de la préfecture, aux gens du quartier. C’était un espace vivant, ouvert, formateur. » Aujourd’hui, l’entrepreneur développe de nouveaux projets, toujours en lien avec la formation. Il travaille notamment autour des jeux éducatifs avec la plateforme Edu Learnious. « Il faut parler le langage des jeunes. Si tu veux qu’ils apprennent, fais-leur vivre quelque chose. Avec les jeux, on peut leur transmettre des savoirs, mais aussi des réflexes, des repères. Et surtout, on peut les reconnecter au plaisir d’apprendre. C’est ça mon travail : inventer des outils pour que chacun puisse reprendre le contrôle de son histoire. »
Mayotte, terre de football
Dans ces nombreux projets, il y en a un qui ne quitte pas Houssaini Assani Tafara : faire de Mayotte une terre de champions du ballon rond. « J’ai grandi avec le foot. J’ai été formé dans des clubs réunionnais et c'était parfois compliqué mais j’ai tenu bon. Surtout, je suis l’un des seuls à avoir pratiqué cela en haut niveau. J’ai vu quelles portes cela pouvait ouvrir. C’est un espace où l’on apprend la discipline, le dépassement de soi… » Pour le passionné de football, ce sport doit être investi comme un véritable levier éducatif. « J’ai vu des gamins qui ne parlaient jamais à l’école, mais qui s’exprimaient sur un terrain. J’ai vu des jeunes en échec scolaire qui retrouvaient confiance après une victoire ou un bon match. Je me suis dit : c’est là qu’on peut faire passer des messages. C’est là qu’on peut construire. »

Aujourd’hui, son ambition est de créer un centre de formation où football et éducation ne font qu’un. « L’idée, c’est de proposer un modèle alternatif. Tu viens t’entraîner, mais tu as aussi des cours, un suivi psycho-social, un accompagnement à l’orientation. Parce qu’un bon joueur, ce n’est pas juste un mec qui court vite. C’est un jeune qui sait où il va. » C’est dans cet esprit qu’il se prépare à passer sa licence d'agent de joueur FIFA. « C’est quelque chose que j’avais mis de côté. Mais là, je veux le faire sérieusement. Je veux être crédible dans le monde du football, pas juste en tant qu’ancien joueur. Je veux pouvoir former, transmettre avec un vrai cadre. Aujourd’hui, il y a plein de talents dans les quartiers, dans les villages. Mais il n’y a pas d’encadrement, pas de suivi, pas de projet de vie.... Moi, je veux qu’un jeune puisse se dire : je peux être joueur, mais aussi entrepreneur, éducateur, pourquoi pas formateur. Il faut élargir l’horizon. »
Si les projets professionnels sont nombreux, tous convergent vers un objectif : former la jeunesse de Mayotte et la pousser à l’internationalisation. « Je ne veux plus faire les choses à moitié. J’ai 38 ans. J’ai l’énergie. J’ai l’expérience. Et j’ai vu trop de potentiels gâchés pour rester les bras croisés. Maintenant, il faut agir vite. C’est comme si tout ce que j’ai fait — la formation, la mobilité, les outils numériques — me ramenait là. Vers le sport. Mais pas le sport pour faire du sport. Le sport pour former des êtres humains debout. »

Abby Saïd Adinani