Vingt ans après la première épidémie de grande ampleur en 2005, La Réunion affronte une nouvelle épidémie de chikungunya depuis août 2024. Ce mardi 15 avril, l'Institut Pasteur a fait un point sur l'état des connaissances scientifiques autour de cette maladie vectorielle. De la compréhension du virus aux outils de lutte contre le moustique, la science s'inscrit dans ce combat contre la propagation de l'épidémie.
Le virus en cause est identique à celui de l’épidémie de 2005, appartenant au génotype Est-Centre-Sud-Africain. Cette souche, connue pour sa redoutable capacité d’adaptation, présente une mutation clé (A226V) qui facilite sa transmission par le moustique Aedes albopictus. « Cette mutation permet au virus de se propager bien plus efficacement via le moustique tigre, aujourd’hui dominant dans les zones urbaines réunionnaises », explique la virologue Anna-Bella Failloux, de l’Institut Pasteur. En 2005, il y a eu plus de 250 000 infections et plus de 255 décès, tandis qu'en 2024, bien que le nombre de cas soit élevé (environ 100 000), le nombre de décès reste très faible, avec seulement deux décès signalés jusqu'à présent.
Le moustique Aedes albopictus, déjà responsable de l’épidémie de 2005, a montré sa capacité d'évolution et d'adaptation. Il est particulièrement apte à transmettre ce variant du virus, avec une capacité de contamination détectable dans leur salive dès le 2ème jour après l’infection. L'épidémie actuelle touche principalement les adultes âgés de 30 à 74 ans, alors que l'épidémie de 2005 a affecté une plus grande proportion de la population, y compris les jeunes. Environ 35 % de la population avait été infectée lors de la première épidémie, tandis que des études récentes montrent que seulement 17 % de la population actuelle a été exposée au virus.
Fièvre, douleurs articulaires, fatigue intense, les symptômes du chikungunya apparaissent généralement 3 à 7 jours après la piqûre d'un moustique infecté. Le chikungunya peut laisser des séquelles. «Environ 40 % des personnes infectées peuvent développer des symptômes persistants, notamment des douleurs articulaires (arthralgies) qui peuvent durer plusieurs mois, voire des années après l'infection initiale», comme le souligne le Pr Patrick Mavingui, directeur de recherche CNRS et directeur de l'UMR PIMIT du CNRS. Actuellement, à La Réunion, il y a plus de 1 000 patients qui ont été infectés lors de l'épidémie de 2005-2006 et qui continuent à souffrir de douleurs articulaires persistantes.
Des moyens de lutte de plus en plus précis
A la différence de la première épidémie en 2025, il y a désormais deux vaccins disponibles. Le plus avancé, X-CHIK, développé par la société Valneva, est un vaccin vivant atténué administré en une seule dose. Déployé gratuitement à La Réunion depuis avril 2025, il cible les plus de 65 ans et les personnes à risque.« Ce vaccin déclenche une réponse immunitaire rapide et forte, en une seule injection. C’est une vraie avancée », souligne Olivier Schwartz, chef de l’unité Virus et Immunité à l’Institut Pasteur. Un deuxième vaccin, développé par Bavarian Nordic, est adapté aux personnes immunodéprimées. Des études d’efficacité en conditions réelles sont en cours.
La lutte anti-vectorielle s'appuie sur la technologie et l'innovation pour limiter la propagation des moustiques. Le CIRAD a notamment développé le modèle ALBORUN qui permet de cartographier les zones à risque en temps réel. Il peut ainsi guider les actions des services de lutte anti-vectorielle. « Grâce à ces outils, on peut cibler les zones les plus sensibles, anticiper les pics de prolifération, et maximiser l’impact des campagnes de démoustication », explique le Dr Thierry Baldet, entomologiste médical au CIRAD.
Autres innovations : les lâchers de moustiques mâles stériles, parfois porteurs de biocides, pour réduire la reproduction des moustiques femelles. Des drones sont également utilisés pour ces lâchers, dans une approche combinant efficacité et réduction de l’impact environnemental.
La vigilance reste de mise. Avec le réchauffement climatique, le moustique tigre colonise des zones d’altitude jusque-là épargnées. Les chercheurs appellent à renforcer la vaccination, à poursuivre la surveillance, et 0 sensibiliser la population.